samedi 24 décembre 2011

Dîner au cabaret

  Nous étions conviés hier soir au dîner de fin d'année du service de Monsieur. Certes, la soirée m'a donné une bonne raison a posteriori d'avoir commandé cette petite robe bleue, et j'étais contente de pouvoir rencontrer les collègues de mon mari que je ne connaissais encore que de nom ; pour autant, c'est toujours avec un peu d'appréhension que je l'accompagne à ce genre de soirée parfois assez ennuyeuse.
  Mais c'était sans compter le talent de l'assistante du service, chargée d'organiser la soirée. Car c'est dans un cabaret qui a été réservé : « Le plus drôle, le plus chaleureux des cabarets de la ville » !
  Vingt heures, nous arrivons dans l'établissement où une quinzaine de collègues et leurs conjoints sont déjà présents. Un employé, en costume de groom mais tout de noir vêtu, nous invite à nous enfoncer dans un couloir : la salle de spectacle s'ouvre devant nous. « Vins ma binche, n'a pas peur ! ». L'homme qui s'adresse à moi, Viko, porte un manteau bigarré, et un immense chapeau brillant. « J'ta présente Miss Banjo, vins, entre ». Miss Banjo est une femme magnifique de deux mètres de haut, court-vêtue d'un costume encore plus chatoyant, couvert de paillettes et de plumes. Sous sa parure et son maquillage, Miss Banjo a le cou un peu fort, les genoux osseux, de grosses mains viriles, une voix grave et rauque. Le ton est donné, la soirée peut commencer...
  Nous prenons place pour dîner autour des longues tables alignées courant vers la petite scène. Le rideau se lève soudain, la lumière inonde la scène dans une débauche de fumigènes : revoilà nos amis Viko et Miss Banjo. En patois, toujours, les deux comédiens cabotinent tandis que le public déguste son entrée. Place à la musique : deux chanteurs, une jeune femme bien en chair quelque peu serrée dans sa robe, et un jeune homme distingué au maquillage raffiné, que nous reconnaissons pour nous avoir servi le premier plat, se succèdent micro à la main. Quand on n'a que l'amour, La salsa du démon, Sunny, Félicie... le répertoire est éclectique, on se croirait presque à la Nouvelle Star. Les voix ne sont pas désagréables mais on sent qu'elles n'auraient peut-être pas convaincu un jury exigeant. Miss Banjo, elle, semble chanter en play back, mais, en tenue légère, se dandinant sur sur ses hauts talons, elle agite mieux que quiconque la parure de plumes colorées qui forme une roue ondoyante dans son dos. Les rires fusent discrètement dans la salle.
  Tranchant sur le reste des artistes, deux contorsionnistes, une jeune femme souriante et son acolyte musclé étirent lentement leurs membres souples en des attitudes extraordinaires. Certes, nous avons vu des dizaines de fois ces mêmes figures à la télévision, mais malgré le léger tremblement que nous devinons parfois, malgré quelques infimes maladresses, la poésie se dégage, les cliquetis de fourchettes cessent, la salle retient son souffle.
  Ce n'est pas le cas des deux ou trois tours de magie qui nous sont présentés par ce cher Viko – le comédien pallie la rareté de ses talents de prestidigitateur par un humour de plus en plus raffiné. Le jeune serveur qui l'assiste, entre deux chansons, manque aussi d'entraînement : enfermé dans la cage derrière le rideau qui se lève et retombe rapidement, il n'a eu que le temps de retirer ses vêtements sans pouvoir enfiler un autre costume que celui d'Adam...
  Le pire moment pour l'assistance arrive – ma hantise depuis le début du spectacle : à une ou deux reprises, Viko souhaite faire participer le public, et descend dans la salle désigner parmi les convives attablés les comédiens éphémères qui auront l'honneur de l'accompagner sur scène et de partager sa gloire. Le projecteur balaie le public, chacun tremble intérieurement de peur de le voir s'arrêter sur sa personne... ouf, il est passé, je peux assister sans crainte à la grande détresse des trois collègues montés sur scène, invités à mimer un drame passionnel oriental qui laissera des souvenirs indélébiles à l'ensemble de leur service !
  Les plats et les numéros se succèdent, le café annonce la fin de la soirée. Le public se lève rapidement, après avoir salué la performance des artistes ; il est temps de quitter ce temple de l'art et du bon goût. Demain, devant d'autres convives, à la même heure, dans la même salle, pour la soirée du réveillon de Noël, Viko sortira les mêmes facéties avec la même gouaille, Miss Banjo agitera ses plumes avec la même grâce, et les chanteurs pousseront la même chansonnette entre deux services.
  Ailleurs, cette nuit de Noël, il y aura moins de paillettes, moins de fumigènes, moins de bruit – peut-être quelques chants de Noël. Mais la magie, là, sera palpable. Nous la verrons briller dans les yeux des enfants.
 
Joyeux Noël...

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