mardi 7 août 2012

Pour la postérité

  Nous avons tous envie de laisser une trace sur cette terre, une trace de notre vie, aussi extraordinairement banale soit-elle, et une trace des grands événements qui la ponctuent. Nous rêvons tous inconsciemment, selon nos goûts et nos aptitudes, d'entrer dans un guiness des records, dans les pages du Larousse, dans la base de donnée de Wikipedia, ou même dans l'ombre sacrée du Panthéon. A défaut, nous gravons nos initiales dans l'écorce d'un arbre centenaire, écrivons notre nom sur le sable d'une plage d'âge immémorial, en attendant le jour où il sera inscrit en lettres d'or dans un marbre mortuaire.

  Il y a quelques jours, j'ai découvert une autre façon de laisser une empreinte pour l'éternité. Mon mari et moi avons eu l'occasion de passer une agréable matinée aux urgences de la maternité. Nous en sommes repartis trois heures plus tard avec la réjouissante perspective de nous asseoir une nouvelle fois, dans quelques temps, sur les chaises confortables de la salle d'attente que nous commençons à bien connaître, depuis cinq ans que nous la fréquentons assez régulièrement. Désormais nous nous rendons sans mal à l'accueil administratif, trouvons facilement, munis des précieuses étiquettes, le chemin des salles d'examen et l'emplacement des distributeurs de boissons.

  Mais il est un endroit que je viens à peine de découvrir, malgré cette expérience accumulée depuis quelques années, et je vous demande d'ailleurs par avance de pardonner la trivialité de ce récit - ce sont les toilettes.

  Ceux-ci sont situés, donc, à proximité des salles d'examen mais également des salles de naissance, et on le constate vite, à peine refermée sur soi la porte de la petite pièce. Sur toute sa surface, par dizaines et par centaines, de tout jeunes pères, entraînés dans les lieux par un besoin somme toute naturel, ont exprimé la joie tout aussi naturelle de leur paternité toute neuve en gravant sur la porte le prénom et la date de naissance de leur nouveau-né :

« Nathan, 10 janvier 2008 »

« Kevin, 6 août 2010 »

« Lola, 26 mars 2004 »

« Nine, 14 décembre 2002 »

  Je ne sais quel homme – il s'agit forcément d'un père, la jeune mère étant en général, à ce moment-là, immobilisée avec son nourrisson avant d'être transportée en brancard roulant dans sa chambre – a initié ce rite, mais on devine à travers ces inscriptions maladroites laissées au stylo à bille sur le contreplaqué écaillé de la porte des WC l'émotion paternelle de l'usager des lieux, émotion qu'on suppose bien plus forte que celle qu'il ressentira quelques jours plus tard en déclarant la naissance à un officier d'état civil qui l'inscrira pourtant alors sur les registres éternels de la République.

  Nathan, Kevin, Lola, Nine et les autres ont grandi, fait leurs premiers pas, appris à lire et peut-être à nager. Il se peut pourtant qu'aucun d'entre eux ne soupçonne le geste historique de leur père grâce auquel leur prénom restera à jamais connu de la postérité – à moins qu'un coup de peinture ocre ou beige ne l'enfouisse dans l'oubli pour l'éternité.

5 commentaires:

  1. Une photo, une photo, une photo !

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  2. Incroyable .... Je n avais jamais vu ça ..!!! Des noms d amoureux etaient inscrits sur la porte des toilettes !! Le plus incroyable est que cela ait donne naissance a cette belle prose ! Bravo J espere que la date de votre sejour dans la suite de rêve se precise ?? Vous m avez beaucoup amusé ac Mme proprette ( je pensais à vs dvt mon balai -:) Bonne journee a tres vite Laetitia

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  3. Tant qu'on ne marque pas les erreurs médicales...

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  4. je serai surement en plein post wedding a momentoù, alors toutes mes pensées sont avec toi et ce nouveau petit bout à venir ;)

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  5. <a href="http://14 août 2012 à 21:32

    Sous le coup de l'émotion, certains ont l'air de le penser.

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