dimanche 28 octobre 2012

Gastro...

  C'est sans doute l'un des mots les plus détestés des français. A la seule annonce de l'arrivée de l'épidémie de gastro-entérite – article de presse déclarant le seuil épidémique atteint, cas répertoriés dans votre entourage proche, affiche placardée sur les portes de l'école – chacun s'attache à se laver les mains frénétiquement à tout moment et à éviter autant que possible les rassemblements de foule.

  Car ce seul mot, dont la forme abrégée n'est pas, tant s'en faut, affectueuse, évoque tout un ensemble très contagieux de symptômes des plus désagréables, le moindre d'entre eux étant un dégoût prononcé à la vue de toute forme de nourriture.

  Et pourtant, il existe une frange réduite de la population française pour qui la même abréviation est synonyme, tout au contraire, de délices, de festins, de régals divers et d'infinies satisfactions gustatives. C'est ce que j'ai découvert avec surprise en suivant le fameux concours culinaire télévisé Masterchef où candidats, cuisiniers étoilés et membres du jury usent à toutes les sauces du mot gastro, à entendre bien-sûr comme l'abréviation du mot gastronomique. Cuisine gastro, restaurant gastro, assiette gastro, dressage gastro : la même abréviation qui donne la nausée à la quasi totalité de nos contemporains met l'eau à la bouche des amateurs et des professionnels de grande cuisine.

  Grande cuisine, qui, par ailleurs, si on en juge par les réalisations des candidats de Masterchef  – "je vous ai préparé un petit émincé et son petit jus, une petite garniture avec une petite émulsion, et une petite sauce aux petits légumes" – n'accouche jamais que de petites choses.

  De là à en déduire que celle-ci, dans son raffinement et sa sophistication, a perdu contact avec une certaine partie de la réalité, il n'y a qu'un pas que je franchirais, quant à moi, plus volontiers que la porte d'un établissement trois fois étoilé...

mardi 23 octobre 2012

Contrefaçon

  Amis blogueurs, j'imagine que comme à moi il vous arrive souvent de vous dire à un moment ou à un autre de vos journées « Tiens, cela fera un bon billet sur mon blog ».

  Mais vous arrive-t-il aussi parfois de vous dire « Tiens, cela ferait un bon billet pour le blog d'untel» ? C'est ce qui m'est arrivé il y a quelques jours. J'ai voulu écrire un billet, mais les mots qui me sont venus à l'esprit étaient ceux d'un autre... d'une autre, puisqu'il s'agit de mon amie blogueuse Ginger.

  Je vous livre donc mon billet A la manière de... Ginger, en hommage à son blog qui ne manque jamais de me faire rire – et que je vous recommande vivement. Quant à toi, Ginger, je te remercie de bien vouloir être indulgente à la lecture de ce pastiche que je me suis autant amusée à rédiger que je m'amuse à lire tes billets.

  Ce qui est sûr, c'est que j'ai pris goût à cet agréable divertissement qu'est l'art du pastiche, et que je serais bien tentée de m'attaquer à d'autres blogueurs... Des amateurs ?

A la manière de... Ginger

 

Attention : ce billet est un pastiche du blog de Ginger (toutes les explications ici)

 

 

Vous vous souvenez de vos dissertations de philosophie...

 

... vous savez, quand vous étiez en terminale, ces copies doubles interminables à noircir, avec une introduction, deux ou trois parties (enfin plutôt deux en ce qui me concerne), une conclusion, pour discuter de questions obscures que des personnes normales ne se posent jamais dans la vie, comme par exemple : « Nature ou culture ? » ou bien « Liberté, égalité ou fraternité ? » ?


Eh bien je ne sais pas pourquoi, mais une chose que j'ai retenue, c'est qu'un jour un philosophe a dit « l'homme est un animal social ». Animal, je ne sais pas trop (je ne vois pas trop le rapport entre l'huître et l'homme par exemple), mais social, oui.


Et j'ai remarqué, comme vous peut-être, que l'homme (contrairement à l'huître d'ailleurs, enfin je crois) agit rarement pour rechercher des choses comme le Bien, le Vrai, le Beau (qui plaisent pourtant beaucoup aux philosophes), mais souvent en raison de la pression sociale.


Par exemple, quand j'étais au collège, la pression sociale exigeait que l'on ricane du film « Babe, le cochon devenu berger ». Il se trouve que pour mon malheur j'étais allée voir ce film (en rasant les murs pour ne pas être reconnue). Eh bien la pression sociale a été telle que je me suis bien gardée de signaler ce fait à mes camarades de classe.


Et tout récemment, j'ai eu l'occasion d'assister à un nouvel effet de la pression sociale.


J'ai une amie, Ingrid, qui est plutôt assez casanière. Mais quand je dis casanière, c'est vraiment casanière. Du genre dont la devise est la suivante :


Pourquoi partir en vacances quand on est si bien chez soi ?


Et Ingrid est très bien chez elle.


D'ailleurs elle n'a jamais pris l'avion (mais elle ne l'a jamais dit à personne, ou presque, toujours à cause de cette fameuse pression sociale).


L'été dernier, Ingrid, comme beaucoup de gens, a pris des congés. Et comme beaucoup de gens, elle a quand même réfléchi à ce qu'elle allait faire pendant ses vacances.


Dans un premier temps, un certain nombre de ses amis lui ont fait des propositions.


  • Ingrid, ça te dit de partir six semaines en Nouvelle Calédonie en y laissant trois mois de salaire et tous tes jours de congé de l'année ?

Ingrid, ça ne lui disait rien du tout, et pourtant cela lui aurait permis de prendre l'avion pour la première fois.


  • Ingrid, ça te tente de partir en voilier pendant deux semaines au large de la Sicile, on pêcherait des poissons et on bronzerait sur le bateau ?

Mais Ingrid, ça ne la tentait pas du tout, d'ailleurs elle ne bronze pas, et elle est allergique au poisson.


  • Ingrid, tu voudrais partir avec toute une bande d'amis en juillet au fin fond de la Creuse jouer aux cartes et faire des ballades dans la campagne ?

Ingrid, là, elle aurait bien voulu, mais malheureusement elle avait pris ses congés en août.

 

Bref, le 1er août est arrivé et Ingrid n'avait toujours pas de projet de vacances. Alors elle a fait la seule chose qui lui restait à faire : passer ses trois semaines de congé chez ses parents, dans la banlieue de Strasbourg.

 

Elle a passé de très bonnes vacances (je vous avais dit qu'elle était casanière). Elle a fait les magasins à Strasbourg, elle a bien dû voir deux ou trois amis qu'elle a encore là-bas, elle est même allée une fois faire la route des vins avec ses parents et boire un verre de vin blanc à Kaysersberg.

 

Mais là où la pression sociale s'est fait ressentir, c'est quand elle est rentrée chez elle à la fin de ses congés. Et justement, elle est venue à la maison avec un ou deux autres amis communs. C'était en septembre, et la conversation a rapidement tourné sur les vacances. Une de nos amies communes a demandé à Ingrid ce qu'elle avait fait pendant ses congés.

 

Je suis allée passer quelques jours en Gironde, chez mes cousins.

 

Je l'ai regardée sans y croire. Mais c'est bien ce qu'Ingrid a prétendu (d'un ton rapide du genre : maintenant si on pouvait changer de sujet de conversation ça m'arrangerait).

 

J'ai compris que la pression sociale avait eu raison de la sincérité d'Ingrid.

 

C'est vrai que la plupart des gens, à tort ou à raison, considèrent que l'on ne passe pas de (bonnes) vacances dans la banlieue de Strasbourg.

 

Quoi qu'il en soit, au sujet de dissertation « la pression sociale doit-elle l'emporter sur la vérité ? », Ingrid aurait répondu « Oui » (sans même avoir besoin d'introduction, de conclusion, ni de deux ou a fortiori trois parties).

 

Et c'est bien dommage, car sans cette fameuse pression sociale, le tourisme se porterait peut-être beaucoup mieux dans la banlieue de Strasbourg.

 

 

C'est bizarre, je n'ai pas reçu de carte postale d'Ingrid cette année.

 

jeudi 18 octobre 2012

Une soirée avec Joe Dassin

  Il est dix-huit heures trente, la soirée commence, les enfants jouent avant de dîner, il n'y a pas école demain et nous ne sommes donc pas pressés. Je glisse un CD des meilleures chansons de Joe Dassin dans le lecteur. Sur le canapé les enfants prêtent l'oreille, je chante, leur sœur agite ses bras dans son transat.

Et si tu n'existais pas

dis-moi pourquoi j'existerais...

  Je me penche au-dessus d'elle en chantant sur la musique, elle me regarde et me sourit.

...simplement pour te créer, et pour te regarder...

  Les saucisses sont grillées, les pommes de terre chaudes, le dîner est prêt, les garçons prennent place autour de la table.

Tagada tagada, voilà les Dalton

Tagada tagada voilà les Dalton

  Pendant que ses frères dînent, ma fille tète avec application. Dans mes bras elle me tient chaud, tandis que la nuit tombe au dehors.

On s'est connus au café des trois colombes

Aux rendez-vous des amours sans abri

On était bien, on se sentait seuls au monde

On n'avait rien, mais on avait toute la vie

- Qu'est-ce qu'il dit, le monsieur ?

- Il parle d'une dame qu'il aime beaucoup, il va se marier avec elle. Mange tes pommes de terre maintenant.

- Je vais me marier avec la dame... chantonne le plus jeune de mes fils, deux ans et demi, inspiré, d'une voix fluette.

- Aeuh, gazouille doucement ma fille en fermant les yeux, toute paisible et rassasiée.

Aux Champs-Elysées, aux Champs-Elysées

Au soleil, sous la pluie, à midi ou à minuit

Il y a tout ce que vous voulez aux Champs-Elysées

- On pourrait mettre la chanson du monsieur qui dit que quand il sera fatigué il ira dormir chez la dame qui habite en Haute Savoie ? demande mon fils cadet. (A venir sur ce blog : un après midi avec Francis).

- Tout à l'heure, on écoute Jo Dassin pour le moment.

- Quand je serai fatigué j'irai dormir chez la Dame de Haute Savoie, chante mon fils à son tour d'une voix haut-perchée.

  Il fait tout à fait nuit, les enfants ont terminé de dîner, ma fille dort blottie contre mon épaule, je l'entends respirer doucement.

Moi, j´avais le soleil

Jour et nuit dans les yeux d´Émilie

Je réchauffais ma vie à son sourire

- Moi quand je serai grand je serai chanteur et conducteur de TGV.

  Je couche les enfants, après un peu de chahut ils s'endorment tous. Tout est calme, je range la cuisine, je tire les rideaux du salon. Joe chante toujours.

...et on s'aimera encore, lorsque l'amour sera mort

toute la vie sera pareille à ce matin

aux couleurs de l'été indien

  Le disque est terminé. J'appuie sur play. Joe chantera toujours.

mercredi 17 octobre 2012

Cours alimentaire

  Lorsque j'étais petite et que je feuilletais chez ma grand-mère une ancienne édition du fameux "J'élève mon enfant" de Laurence Pernoud, je m'étonnais vaguement de ce que les deux tiers du volume étaient consacrés à l'alimentation. Allaitement maternel, mixte ou artificiel, stérilisation des biberons, quantités de lait, nombre de repas, sevrage, introduction des aliments solides, préparation des purées, petits pots et compotes maison, rations de protéines, vitamines et laitages, il y en avait pour des pages et des pages qui me paraissaient alors assez rébarbatives et auxquelles je préférais les chapitres illustrés abordant le développement de l'enfant et ses progrès mois par mois et année par année.

  Et puis un jour, j'ai eu des enfants ; et j'ai compris. Bien-sûr je le savais auparavant, mais encore abstraitement, et du jour où j'ai eu la responsabilité de faire grandir un puis plusieurs "nourrissons" – le terme est éloquent – j'ai compris pleinement qu'élever un être en pleine croissance c'est, avant toute chose, le nourrir.

  Je suggèrerais donc à Laurence Pernoud de rajouter à la prochaine édition de son ouvrage un petit avertissement sur la journée-type de ses lectrices :

  Dès que le réveil sonne, vous filez à la cuisine préparer le petit-déjeuner, remplir les verres, les tasses, bols ou biberons, mettre en marche le grille-pain et la bouilloire. Pendant que l'eau bout ou que le lait chauffe, vous finissez la vaisselle de la veille, préparez le goûter de dix heures des écoliers, ainsi que les tupperwares de votre conjoint s'il emporte son déjeuner sur son lieu de travail, et remplissez le lave-vaisselle. Une fois le petit déjeuner servi et débarrassé, vous ouvrez votre réfrigérateur et commencez à réfléchir à ce que vous allez bien pouvoir servir au déjeuner. Vous passez à la boulangerie, et, si votre réfrigérateur est vide, vous faites vos commissions. A vos moments perdus, vous pouvez chercher de nouvelles recettes sur Internet, réfléchir au menu que vous servirez à vos invités le week-end prochain, et compléter votre liste de courses pour votre prochaine sortie au supermarché. Vous n'oubliez pas de vider le lave-vaisselle, de mettre le couvert, et, tandis que le déjeuner mijote vous réfléchissez déjà au menu du dîner. Trois heures après la fin du déjeuner (y compris la vaisselle), vous servez un goûter reconstituant à vos enfants puis, trois heurs plus tard, vous vous occupez du dîner, en deux services bien souvent si vos enfants sont encore petits. Vous rajoutez à cela, selon l'âge du plus jeune d'entre eux, jusqu'à sept ou huit biberons ou tétées par jour, quelques purées, compotes ou petits pots donnés à l'aide d'une minuscule cuiller. Le soir venu, pour terminer la journée, vous dressez la table du petit déjeuner du lendemain, et vous pouvez enfin vous détendre, avec la satisfaction de savoir tous les estomacs repus, devant un concours culinaire télévisé par exemple, en vous demandant tout de même comment vous pourriez rassasier votre famille avec une raviole de fane de radis, son émincé de petit pois, et trois gouttes de jus de caille farcie à la menthe déposées à la pipette.

   Vous aurez l'impression d'avoir sans cesse une partie de votre cerveau connectée à votre réfrigérateur, vous aurez souvent des absences en pleine conversation quand vous vous demanderez soudainement : "Mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire à manger ?", vous investirez, au choix, dans une paire de gants de vaisselle ou dans une bonne crème hydratante pour les mains, vous aurez quelque part dans votre cuisine une liasse de recettes imprimées, découpées dans des journaux, ou griffonnées à la va-vite, vous aurez toujours à portée de la main un papier où noter ce qui vous manque et que vous devrez acheter prochainement, vous connaîtrez par cœur dix recettes de desserts, vous pourrez cuisiner un gratin de pâtes ou une mousse au chocolat les yeux fermés.

   Mais quand vos enfants réunis autour de la table familiale, les yeux brillants et le menton couvert de tâches marron, déclareront en chœur qu'il n'y a pas de meilleur fondant au chocolat que le vôtre, vous oublierez  jusqu'au moule à manqué qui attend d'être lavé au fond de l'évier, pour vous réjouir en les voyant heureux et bien portants.

mercredi 10 octobre 2012

Le bateau triste

  Mon fils cadet âgé de quatre ans a reçu récemment en cadeau un livre pour enfant intitulé « Le petit bateau de Petit Ours ». Le propos paraissait attrayant, les illustrations plutôt jolies, ce qui n'est pas automatique dans le domaine de la littérature enfantine, et, sur la demande insistante de mon fils, j'ai commencé à lui lire l'histoire sans en avoir pris connaissance auparavant – contrairement d'ailleurs à mes habitudes.

  Petit Ours, comme vous l'aurez compris, possède un petit bateau, une mignonne petite barque rouge. Petit Ours aime beaucoup son embarcation. Il fait le tour du lac, il pèche, il rame, il s'y repose bercé par les flots, bref, il y connait le bonheur le plus pur et le plus parfait. Mon fils semble charmé par ce récit et m'écoute avec plaisir et attention.

IMG 2662Jusqu'au moment où nous découvrons que Petit Ours se met à grandir. Je vous passe les détails, mais le petit bateau de Petit Ours devient de plus en plus étroit, au point qu'un jour Petit Ours manque de s'y noyer. Petit Ours comprend alors qu'il ne pourra plus jamais monter dans son petit bateau. Il en est très malheureux ; quant à mon fils, j'ai eu la surprise de le voir éclater soudainement en sanglots.

  J'en ai été quitte pour le consoler en tâchant d'inventer un autre dénouement à cette charmante histoire avant de faire disparaître au fond d'un placard ce livre que mon fils s'est bien gardé de me réclamer. Bien-sûr, Petit Ours ne reste pas éternellement malheureux : il comprend qu'il a grandi, que c'en est fini de son charmant petit bateau rouge et du bonheur qu'il lui procurait, mais il décide de le donner à un autre petit ours et s'en va de son côté construire un grand bateau. Pourtant, si j'en juge par les réactions de mon fils, cette fin ne suffit pas à effacer le caractère douloureux de ses péripéties.

  Il faut dire que je le comprends... Le petit bateau rouge, c'est la joie de cet enfant ours, c'est tout ce qui fait le charme de ses tendres années, et voilà que tout à coup l'instrument de son bonheur, la substance même de sa vie, l'âme de son enfance, se transforme en piège redoutable où il manque de trouver la mort.

  Parce qu'il a grandi, Petit Ours n'a pas le choix : sous le regard intransigeant de sa maman, il doit se départir de ses goûts, de ses rêves, de ses plaisirs, de ses joies. Parce qu'il a grandi, il doit se dépouiller de ce qu'il aimait, de ce qu'il était, car il est devenu un grand Ours, et Petit Ours qu'il était n'est plus.

« Le destin d'un petit ours est de grandir et de devenir un grand ours. Le destin d'un petit bateau est de rester un petit bateau. C'est ainsi. », assène sans ménagement Maman Ours à Grand Ours – car Petit Ours doit abandonner jusqu'à son propre nom.

  Reconnaissons à l'auteur le talent d'avoir réussi, dans cette fable imagée, à transmettre à la perfection ses idées à son jeune public et à mon fils en larmes en particulier, à qui la dureté et la cruauté du récit n'ont pas échappé, toutes voilées qu'elles soient derrière le style allégorique et les illustrations naïves.

  Je le souhaite à mon fils, comme à tous les enfants, qu'il puisse grandir sans étouffer en lui l'enfant qu'il est, mais au contraire en conservant précieusement ce qui fait l'âme de l'enfance : sa pureté, son imagination, sa candeur, son innocence, sa poésie et sa confiance ; que le petit bateau grandisse et devienne, plutôt qu'une épave sombrant dans l'abîme, un fier voilier voguant sur les flots.

dimanche 7 octobre 2012

Premiers sourires

  Tout commence par un frémissement, le coin de la bouche qui remonte, puis les lèvres qui s'ouvrent dans un mouvement qui se propage d'une extrémité à l'autre, et soudain le sourire est là, tout neuf, qui nait entre deux petites joues qui s'arrondissent, sous les yeux qui se plissent dans la contemplation éperdue du visage maternel. Ce sont les premiers sourires, ceux qu'on guette et qui nous surprennent, si fugaces et si rapides, au début si rares et inattendus. Plus que les premiers mots, plus que les premiers pas, c'est le progrès le plus espéré, le plus touchant, le plus bouleversant ; le premier sourire qui fleurit sur un petit visage, comme un instantané de béatitude parfaite, de gratitude et d'abandon, suprême récompense pour les heures passées à nourrir et à soigner un nouveau-né.

  Déjà la bouche a repris son pli habituel, à peine commencé l'instant de grâce s'est envolé. Les semaines passant ils se feront de plus en plus nombreux, mais le souvenir des tout premiers sourires si éloquents et émouvants, lui, ne s'efface pas.