dimanche 21 avril 2013

Repas de famille

Je vous ai parlé de ma sœur récemment, enfin de moi, enfin l'une des deux, enfin sans doute des deux à la fois (je confonds un peu). Et puis il y a quelques jours, une lectrice et amie blogueuse, Alphonsine, avec qui nous échangions quelques mails pour faire davantage connaissance, m'a posé la question suivante :

D'où te viens ta verve ?

Remarquez que je conçois très bien son étonnement à lire des textes plus ou moins passionnants, parfois très longs, sur des sujets à peu près vains et souvent insignifiants (lunettes de WC, mode layette, catalogues de Noël, pour ou contre la fin du mondepaillassons, etc).

Je lui dois, et je vous dois, à vous qui prenez la peine de lire ces publications, aussi peu utiles soient elles au perfectionnement de l'Humanité, quelques explications.

Tout a commencé dans ma famille. Vous le savez déjà, j'avais des parents, un frère et une sœur, une golf familiale et des paquets de choco-BN. La golf familiale a dû finir ses jours je ne sais où, les paquets de choco-BN sont vides et sans doute – je l'espère – recyclés, mais une constante reste au fil des années, aussi immuable que l'eau glacée des lacs du Jura ou les falaises des côtes normandes :

dans la famille, nous aimons discuter.

Un blanc dans la conversation ? Impossible. Un coup de téléphone de Tante Ursule suivi de moins de trois quart d'heures d'analyses et de commentaires ? Inimaginable. Une sortie au cinéma sans échange de points de vue argumentés sur le film ? Impensable. Plus de deux semaines depuis le dernier coup de fil de Tante Ursule sans échafaudage de théories explicatives ? Rarissime.

Autant vous dire que lorsque nous sommes tous réunis, par exemple lors d'un déjeuner dominical, nous ne manquons pas de sujets de conversation – quand bien même ce serait le cas, il suffirait de lancer la discussion sur Tante Ursule.

Bien-sûr, si nous partageons certains points de vue, il arrive que nos opinions divergent. Or nous n'avons rien contre un brin de polémique. En général, nos opinions divergent justement le dimanche à midi.

La conversation démarre pourtant paisiblement après un agréable apéritif. Et puis à un moment précis, souvent à la fin de l'entrée, un nouveau thème est abordé. Nul ne sait encore que ce dernier va devenir celui qui déclenchera les joutes verbales à venir, et d'ailleurs nul ne pourrait expliquer par quelle mystérieuse alchimie celui-ci précisément sera élevé au rang de « controverse du jour ».

Cela peut porter sur n'importe quel sujet (Une œuvre littéraire peut-elle être traduite à la perfection ? Tante Ursule a-t-elle toujours été aussi mauvaise ? Batman 3 est-il vraiment un film raté ?... Les enjeux sont souvent colossaux). Dernièrement, la discussion portait sur la question suivante : Les garçons d'Albane se ressemblent-ils comme deux (trois) gouttes d'eau ?

Chacun apporte son éclairage, ses arguments, sa façon de voir. Petit à petit, deux camps se dessinent (la répartition des membres de la famille dans les deux camps en question varie d'une fois sur l'autre) : ceux qui pensent que mes fils se ressemblent mais sont quand-même très différents, et ceux qui pensent que mes fils sont assez différents mais se ressemblent beaucoup – nous avons le sens des nuances.

En général, lorsque le plat principal est servi, nous avons compris que le sujet allait nous occuper jusqu'au dessert. Le ton monte, chacun développe inlassablement ses arguments.

- Non, mais moi par exemple, je les trouve assez différents, mais je remarque que beaucoup de gens me disent « Mais ils sont pareils ! Ce sont des triplés ! ». Je peux avoir de la sauce ?

- N'importe quoi. Ils sont très différents.

- Je suis d'accord, c'est vrai qu'ils se ressemblent. Très bon ton rôti. Parfois même moi je les confonds, cela m'arrive de...

- De là à dire qu'ils sont pareils, les gens sont aveugles ou quoi !

- Tu pourrais arrêter de me couper la parole ? Cela m'arrive de les...

- Non mais de toute façon tu as toujours raison ! Moi je trouve que les deux plus petits se ressemblent, mais le grand moins.

- Eh bien tu vois c'est amusant parce qu'en général on nous dit le contraire.

- Oui, enfin quand on les connait bien on les distingue.

- Je ne dis pas qu'ils soient pareils, tout ce que je dis c'est qu'ils...

Les assiettes se remplissent puis se vident, le vin dans les verres participe à animer les esprits, le débat s'intensifie, chacun parle de plus en plus fort pour couvrir son voisin et convaincre ses contradicteurs, jusqu'à ce que la dernière miette de gâteau soit avalée.

Alors, brutalement, une fois le déjeuner terminé, le calme revient. Nous nous installons au salon où nous buvons une tasse de café, laissant en plan derrière nous la polémique inachevée et la table à moitié débarrassée. La conversation redevient paisible (« - Tu sais, ta robe rouge, j'ai acheté la même en noir. - Ah oui ? Et tes projets de vacances, tu en es où? »), la vivacité des débats passés est déjà oubliée, les camps ennemis sont réconciliés, personne ne se soucie plus de convaincre qui que ce soit, et nous nous laissons tous aller à une douce torpeur digestive parfois même un peu somnolente, à peine troublée par les jeux des enfants autour de nous.

- Tiens, j'ai failli te confondre avec ton frère. Vous vous ressemblez beaucoup !

Mais plus personne ne bronche.

Jusqu'à la prochaine fois.

Et vous, harmonieux ou animés, vos repas de famille ?

 

repas de famille débat

« C'est prêt. On peut passer à table ! »


7 commentaires:

  1. C'est une excellente description, personnellement il me semble avoir vécu des milliers de déjeuners de ce genre.

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  2. Chez nous les repas dominicaux sont toujours très calmes...essentiellement parce que nous prenons le parti de ne discuter qu'autour de sujets fédérateurs: politique, religion, éducation des enfants et organisation des vacances! Les valeurs sûres, il n'y a rien de tel!

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  3. J'éviterais de parler de repas de famille version élargie. Restons simples, restons chez Alphonsine. Lorsque j'arrive à les empêcher de raconter des blagues, ils se battent à coup de répliques de film. Et sinon, tout le monde a le sentiment de ne pas avoir pu parler parce qu'il est interrompu de façon constante. C'est bien la raison pour laquelle j'ai ouvert un blog : je peux enfin parler sans être coupée ! Au fait, tes deux derniers se ressemblent beaucoup, on dirait des jumeaux !!!

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  4. Un bon repas de famille, de bonnes discussions animées, il n'y a rien de mieux pour se détendre, je suis bien d'accord !

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  5. Témoignage ravissant et probablement assez atypique ; toutes les familles n'ont le privilège de connaître une telle harmonie. Les autres n'ont pas de Tante Ursule.

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  6. Chez nous c'est struggle for life pour en placer une...Chacun joue sa partition :le modérateur, l'excitateur, l'animateur, le muet, celui qui place sa bonne blague, celui qui conclue, celui qui n'en pense pas moins (on est nombreux...). Sans avoir de tante Ursule (mais une tante Thérèse par contre) le déroulement me semble à peu près être le même.

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  7. <a href="http://25 avril 2013 à 00:00

    Ma Tante Ursule est pareille, elle parle des heures et n'écoute personne (entre autres qualités).

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